Chronique EESF n°18 - octobre 2011

Le risque agro-industriel est toujours bien présent

Au début du mois d’octobre 2011 s’est tenu à Dakar un atelier sur la réglementation qui doit encadrer le développement des biocarburants au Sénégal.

Après quelques années d’exploration de cette nouvelle filière, on est arrivé à un moment charnière où sont en train de se définir le rôle que joueront les organisations rurales dans l’approvisionnement en énergie du pays et la part des revenus générés par cette activité qui leur reviendra.

Des opportunités à portée de main pour le monde rural

En 2007, dès le lancement du Programme National Jatropha, de nombreux groupes agro-industriels ont annoncé leur intention d’investir dans la production de biodiesel. Ces projets ciblaient l’appropriation directe de milliers d’hectares de terres, ou la contractualisation à long terme de paysans pour la fourniture de graines. Positionnements opportunistes sur un marché potentiel, ils ont vite été abandonnés face aux difficultés techniques posées par la production de Jatropha et aux campagnes internationales pour la protection des intérêts des petits paysans et de la sécurité alimentaire.

Aujourd’hui, le développement de la production de Jatropha est principalement le fait d’initiatives locales associant étroitement des organisations paysannes, dont le programme EESF.

La réglementation en cours d’élaboration prend acte de cette histoire récente et, sous la poussée d’un large consensus réunissant des acteurs de natures très variées, se structure autour de la préservation des cultures vivrières par la limitation de projets à grande échelle et la promotion d’un investissement paysan dans la production d’huile végétale.

L’avancée vers l’ouverture de nouvelles opportunités de développement pour le monde rural est considérable. Pourtant, si on n’y prend garde, et malgré les bonnes intentions qui la fondent, elle pourrait bien être un piège, conduisant très rapidement les acteurs ruraux dans une nouvelle impasse.

Le nouveau visage des projets industriels

Même si on reconnait désormais, mais de façon informelle, que l’huile végétale (à condition qu’elle soit de qualité) peut être utilisée dans de nombreux secteurs (agriculture, production d’énergie électrique, et même une grande partie du secteur du transport), le lobby industriel reste tapi dans l’ombre, avec une stratégie claire : encourager la multiplication à l’échelle nationale de plantations paysannes de Jatropha et d’unités décentralisées d’extraction d’huile végétale orientées vers l’approvisionnement en énergie du monde rural, jusqu’à un niveau où il deviendra rentable d’investir dans la transformation industrielle de cette huile en biodiesel.

Pour atteindre cet objectif, il faut imposer l’hypothèse que le biodiesel serait le seul carburant parfaitement substituable au gasoil. Elle est pourtant loin d’être validée et n’est que l’affirmation, soutenue par la puissance de leur capacité financière et de communication, d’intérêts industriels qui ne veulent pas perdre le contrôle de l’approvisionnement en énergie du monde.

Pour atteindre cet objectif, il faut également pousser les paysans à prendre à leur compte les risques de développement d’une culture encore bien mal connue, tout en évitant qu’ils contrôlent la commercialisation de sa production : s’ils produisaient une huile de trop bonne qualité, trop chère, sa transformation en biodiesel ne serait plus ni opportune, ni rentable.

Se posant en promoteurs à long terme de l’indépendance énergétique nationale, les industriels pèsent donc de tout leur poids pour que l’huile végétale soit exonérée de la taxe sur les produits pétroliers et de la TVA. Forts de l’audience acquise par cette prise de position qui dessert les intérêts des producteurs d’huile ruraux, ils en profitent pour suggérer, au nom de l’intérêt général,

  • que le prix des graines soit plafonné aux environs de 70 FCFA/kg (« afin d’éviter un engouement des producteurs pour cette nouvelle spéculation, au détriment de la sécurité alimentaire »),
  • qu’aucune norme de qualité ne soit imposée (« afin d’éviter que l’investissement dans l’extraction d’huile ne devienne inaccessible aux organisations rurales »),
  • et qu’on interdise la diversification des huiles produites au niveau d’une même unité artisanale (« afin d’éviter les risques de contamination des huiles alimentaires par l’huile toxique de Jatropha »).

Le seul objectif, soyons réalistes, est d’éviter que les ruraux s’approprient une trop grande part de la valeur ajoutée de la filière.

Le programme EESF propose un modèle alternatif, reproductible à l’échelle nationale

Le programme EESF est lui aussi présent dans ces discussions. Il n’a pas la puissance financière d’un groupe industriel, mais il a acquis sur le terrain, par l’engagement de ses acteurs pour un développement durable et solidaire, une forte crédibilité.

Il défend que l’on peut :

  • optimiser les investissements afin de permettre à une organisation rurale d’acquérir les capacités techniques (humaines et matérielles) nécessaires pour produire en toute sécurité des huiles diversifiées de qualité,
  • intégrer la culture de Jatropha dans les systèmes agricoles paysans pour en renforcer la capacité de production de ressources alimentaires,
  • et finalement améliorer de façon significative les revenus des producteurs qui se seront investis dans le développement d’une nouvelle ressource énergétique nationale.

Le programme EESF invite les institutions nationales à créer les conditions pour que l’huile végétale de qualité devienne le carburant de référence du Sénégal de demain, et à considérer que sa commercialisation à un prix équivalent à celui actuel du gasoil, loin de constituer un handicap, donnera un nouvel essor au développement rural et à la politique de décentralisation.

Il les invite à considérer que le biodiesel est principalement destiné aux utilisateurs de véhicules dont la sophistication est un luxe et qu’il n’est pas juste de limiter les revenus de toute une population pour réserver à une minorité l’accès à une énergie bon marché.

Il les invite enfin à exhorter les constructeurs automobiles qui investissent dans l’assemblage local de véhicules à adapter leurs moteurs aux carburants de demain, contribuant ainsi à libérer le pays de sa dépendance envers un modèle technologique condamné à disparaître.


publié par   Bruno Legendre
le mardi 25 octobre 2011
 
 

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