De l’huile pour le développement local

Les perspectives ouvertes par un entrepreneuriat solidaire

Entrepreneuriat solidaire ne signifie pas seulement répartition équitable des revenus générés au sein d’une filière.

Lors qu’un partenariat intelligent se noue entre l’entreprise et son environnement, elle peut trouver dans le marché local sa première source, qui plus est très stable, de revenus, et elle participe en même temps à la construction de nouvelles dynamiques indispensables à la réussite du processus de décentralisation.

Une telle approche ouvre à l’entreprise l’accès à des financements innovants, mis en œuvre par des partenaires financiers qui acceptent de partager le risque d’un investissement solidaire. Profondément enracinée dans son terroir, elle pourra alors investir dans le développement de sa capacité de production, la formation de jeunes techniciens, et l’image de ses produits afin de valoriser pleinement, et au profit du plus grand nombre, tout le potentiel qui est à sa portée.

Huile vierge d’Arachide

Le pressage à froid permet d’obtenir des huiles dites « vierges », très parfumée. L’huile d’arachide notamment a une saveur que ne peuvent rendre les huiles industrielles raffinées.

Sa production exige cependant une forte responsabilisation des producteurs pour qu’ils fournissent des graines de qualité (mais cette qualité se rémunère), exemptes d’aflatoxine.

Etant donné son coût de production, on pense spontanément qu’une telle huile sera plutôt destinée à une clientèle aisée, qui constitue un marché probablement marginal dans un pays comme le Sénégal.

On pourrait cependant regarder les choses autrement : les paysans pourraient apporter leurs graines d’arachide à l’huilerie, et pour le prix d’une prestation obtenir à un coût attractif une huile de qualité, du tourteau et peut-être une opportunité de générer de nouveaux revenus :

  • Actuellement ils vendent leurs graines à un prix qui rémunère mal leur travail, doivent acheter les tourteaux pour leurs animaux et ne trouvent sur le marché qu’une huile industrielle insipide : lorsqu’ils vendent 2 kg de graines à 400 FCFA (800 FCFA), les industriels leur revendront, pour un total de 1500 FCFA, 1 l d’huile dont le prix peut atteindre 1200 FCFA et 1 kg de tourteau à 300 FCFA
  • Si l’huilerie presse leurs graines à 500 FCFA/kg, avec 1000 FCFA ils auront 1 litre d’huile (de qualité…) plus 1 kg de tourteau... ce qui leur permet de réaliser une économie de 30%, tout en améliorant leurs qualité de vie. Sans compter qu’ils accèdent ainsi à une opportunité de génération de nouveaux revenus (amélioration des performances de l’élevage par un approvisionnement plus régulier en tourteaux, vente directe d’une partie de l’huile produite à partir de la récolte de l’exploitation).

Une enquête réalisée en 2009 a relevé que la consommation moyenne d’huile d’arachide de familles paysannes dans le département de Foundiougne s’élevait à plus de 250 litres par an (entre 180 et 360 litres).

50 paysans, en confiant à l’huilerie locale la trituration d’un sac de 100 kg de graines d’arachide (et obtenant ainsi 40 à 50 litres d’huile), contribuent à assurer 20% de l’activité d’une équipe de production. C’est un objectif tout à fait réaliste...

Huile de Moringa

Les feuilles du Moringa constituent un complément nutritionnel très riche, mais une culture trop intensive de cet arbre à forte croissance (plantation dense, rabattages fréquents des branches) appauvrit rapidement les sols. Comme pour toute plante (et pas uniquement le Jatropha...) une intensification excessive ouvre la voie à toutes sortes de dérives environnementales, économiques et sociales.

On parle moins de l’huile de Moringa. Pourtant elle peut être, elle aussi, utilisée dans l’alimentation et elle a des propriétés cosmétiques intéressantes : on la recommande par exemple pour le massage des nourrissons du fait de ses propriétés adoucissantes et hydratantes, et on l’utilise pour les soins des cheveux.

Une diversification des revenus générés par une plantation de moringa, permettrait de réduire son niveau d’intensification et d’en faire une nouvelle source de revenus durables pour les ruraux.

Huiles de Baobab, de balanites, et de bissap

Ces essences sont déjà exploitées par les femmes : elles vendent la poudre de baobab ou les calices de fleurs de bissap, éventuellement les transforment en boissons, et la collecte en saison sèche des fruits de balanites leur apporte un complément de revenus.

Les noyaux de baobab n’ont pas d’utilité et elles les jettent. Des graines de bissap elles ne conservent qu’une petite partie pour ensemencer leurs champs l’année suivante. Quand au balanites, les chèvres raffolent de ses fruits dont elles rejettent les noyaux dans les enclos où elles sont enfermées le soir.

Or ces « déchets » contiennent des huiles très intéressantes. Leur collecte et leur préparation (nettoyage des graines de baobab, décorticage des noyaux de balanites) en vue de l’extraction de cette huile, constituent une source potentielle de revenus supplémentaires pour ces femmes.

Huiles de Neem et de Jatropha

Le neem est un arbre d’ombrage à croissance rapide et résistant à la chaleur. On le trouve dans pratiquement toutes les concessions.

Un arbre adulte produit 20 à 50 kg de graines par an. Ses fruits tombent sur un sol en général très propre, régulièrement balayé. Il suffit de débarrasser les noyaux de leur pulpe et de les faire sécher à l’ombre.

L’huile de neem est réputée pour ses propriétés insecticides. C’est le seul produit phytosanitaire autorisé par l’agriculture biologique. Elle est très efficace : des tests de pulvérisation foliaire sur du niebe, réalisés en 2012 au niveau d’une dizaine d’exploitations agricoles, ont montré une augmentation de rendement de 80%.

Le tourteau de neem, quant à lui, a été utilisé avec succès sur une culture d’oignon attaquée depuis plusieurs années par la mouche mineuse, provoquant la pourriture des bulbes. Dès la première année d’application, la mouche a disparu et le rendement est remonté à 20 t/ha.

Avec l’huile de Jatropha on produit un savon blanc, moussant et naturellement parfumé qui est très apprécié : dans les années 1940, elle entrait dans la composition du savon de Marseille. La demande sur le marché local est forte et sa production est facilement maîtrisable par des femmes qui peuvent trouver là une source de revenus non négligeable.

En y ajoutant 10 à 15% d’huile de neem, on obtient un savon de toilette antiseptique à un prix compétitif.

Dans la même approche que celle déjà évoquée plus haut à propos de l’arachide, les femmes pourraient très bien apporter à l’huilerie les graines qu’elles collectent, et payer simplement le coût de la prestation de trituration.

Une telle approche établit la base d’un partenariat qui permet aux femmes de participer activement au développement local, à travers :

  • L’amélioration du taux de collecte de graines de jatropha ;
  • La possibilité de négocier la vente à l’huilerie d’une partie de ces graines pour la production de biocarburant (contribution des femmes à l’alimentation des forages ruraux en carburant durable) ;
  • Le développement d’une activité génératrice de revenus significatifs et stables (production de savon et vente sur le marché local, éventuellement extension de la zone de commercialisation grâce à un appui de l’entreprise dans la labellisation de la production) ;
  • Le renforcement de la productivité des jardins maraîchers qu’elles exploitent grâce à l’utilisation du tourteau de Jatropha et la disponibilité d’un insecticide naturel puissant à coût marginal.

publié par   Bruno Legendre
le mercredi 12 février 2014
 
 

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