A partir des terroirs, un développement durable

En guise de prologue

Une dizaine d’articles développent sur ce site, une réflexion sur les dynamiques rurales et le rôle qu’elles pourraient jouer comme moteurs d’un développement durable au Sénégal.

Cette réflexion part d’un regard sur les problématiques de l’accès à l’énergie (facteur clef de tout développement), de la décentralisation (urgente dans un pays où l’urbanisation se heurte entre autres à l’insuffisance des ressources en eau), et de l’échec flagrant de la lutte contre la pauvreté, pour s’intéresser aux potentiel de "partenariats publics privés" qui pourraient émerger d’une nouvelle conception de l’entreprise et d’une responsabilisation accrue des collectivités locales dans la construction d’un avenir durable au Sénégal.

Elle se fonde sur une conception humaniste du monde qui propose une démystification des pouvoirs absolus que donnent aujourd’hui la maîtrise de technologies de plus en plus performantes ou de l’accès à des ressources financières qui paraissent inépuisables, et défend que seule une démarche basée sur un partage des savoirs et des richesses dont la terre est féconde, qui rend aux hommes leurs responsabilités dans la gestion de leurs terroirs, peut ancrer dans la durée cette paix dont notre génération a bénéficié.

Deux coïncidences étonnantes en ont jalonné l’élaboration.

Une curieuse résurgence du passé, d’abord, qui en fait, non une simple élucubration, mais le fruit d’un patient cheminement, loin des effets de modes et des discours opportunistes, passé au crible de la critique, âpre et sans complaisance, du vécu.

Et puis, comme si elle faisait écho à une interrogation personnelle sur le bilan d’une trentaine d’années d’expérience en milieu rural, l’annonce de nouvelles orientations politiques pour le développement national, qui la plonge dans l’actualité et en fait, non un exercice biographique à l’intérêt limité, mais une contribution, aussi modeste soit-elle, à l’effort collectif qui seul permettra d’émerger des dangereuses inerties qui ferment aujourd’hui toute perspective à nos enfants.

Ancrages

Lorsque je pense à la vie de ces enfants que j’ai vu grandir nu-pieds et insouciants, fonder à leur tour une famille et affronter les incertitudes du quotidien, à la vie de ces hommes et de ces femmes que j’ai vu vieillir et, souvent bien trop tôt, partir, je me demande qui est le plus démuni, de celui qui prétend détenir un savoir mais ne peut autre chose que constater la détresse, l’apaiser parfois mais sans jamais la réduire, ou de celui qui ne sait peut-être pas ce qu’il mangera demain mais dont la chaleur de l’accueil a le don de vous transposer dans un autre monde, et vous vous prenez à rêver de bonheur.

Deux humbles tombes ne cessent de m’attirer. Les souvenirs m’envahissent de la force, paradoxale tant ils semblaient pauvres, de cet homme et de cette femme qui y reposent. L’idée m’obsède que la respectabilité jamais ne s’appréhende en passant, à la va-vite, sur un simple coup d’œil, ni ne surgit d’un effet de manches. Ils ne possédaient absolument rien, et pourtant je les ai connus heureux, et je les ai vu s’imposer à un ordre social que d’aucuns prennent pour inamovible ; ils ne savaient ni lire ni écrire, et pourtant c’est de leur bouche que j’ai entendu de vrais hommages à la femme, et ils m’ont fait découvrir une culture si vivante qu’aucun livre ne pourra jamais en restituer la richesse.

Il m’a fallu du temps pour comprendre toute la profondeur du message que nous livrait, nous étions alors étudiants, Jacques Arrighi de Casanova, cet agronome éminent spécialiste de l’Amérique latine, nous distribuant son polycopié sur les systèmes d’irrigation : “vous êtes ingénieurs, vous savez lire... la plus grande chose que vous avez à apprendre, c’est à écouter et respecter les savoirs de ceux avec lesquels vous voudrez partager les vôtres”.

Le temps, justement, d’écouter et d’apprendre à respecter ceux qui disaient le monde différemment.

Il y a 25 ans, l’amorce d’une réflexion...

Dans ma bibliothèque, un livre relié cuir, le seul d’ailleurs, comme si celui qui me l’a offert avait voulu être sûr que je ne l’égarerai pas, s’est lentement recouvert de poussière. C’est un banal recueil d’articles, publié par l’ORSTOM en 1986 sous le titre “L’exercice du développement”. Pierre Verneuil, alors animateur du groupe de recherche “Maîtrise Locale du Développement” de l’Association Economie et Humanisme, m’avait invité à y apporter ma contribution.

Expérience passionnante, mais que peut-on vraiment partager, qui vaille la peine d’en garder mémoire, quand on ne connaît encore rien du monde ? Seul est resté le riche souvenir de ces hommes passionnés, engagés de tout leur être dans une recherche jamais assouvie des savoirs des autres, quels qu’ils soient, sans a priori, ni culturel ni conformiste.

Par la magie des nouvelles technologies, je retrouve par hasard sur internet, 25 ans plus tard, ce texte que j’avais oublié : “D’un village du Sénégal, une autre vision du développement”... J’y ai jeté un coup d’œil suspicieux, mais mon inquiétude s’est vite apaisée ! Je n’étais pas ridicule, et je ne radote pas non plus… la réflexion s’est approfondie, a mûri, s’est enrichie de l’expérience vécue.

A cette époque –là j’avais eu l’insolence d’interpeller Guy Belloncle, sociologue de renom, sur son livre “La question paysanne en Afrique Noire”. Il y écrivait, c’était en 1982 (mais cela aurait aussi bien pu être aujourd’hui !) : “si le développement se fait jusqu’ici si peu ou si mal, cela ne peut être en rien attribué à une prétendue passivité paysanne, encore moins à l’obstacle que constitueraient les structures traditionnelles”. Même si je partageais alors son constat, je lui reprochais son idéalisme communautaire qui voulait faire de l’organisation villageoise le modèle d’un nouveau socialisme. "Expert" en animation et en organisations paysannes, il n’a pas eu la condescendance de me répondre, et moi, jeune donc sans doute, dans son esprit, idiot, j’ai fait de son silence un défi.

Actif promoteur des dynamiques qui animent le monde rural, je ne pense pourtant pas qu’elles portent en elles une solution miracle aux problématiques du développement. Mais j’étais convaincu, alors, que l’idée de “co-développement”, qui commençait à émerger, était une piste à approfondir. Et j’en reste persuadé. Nous sommes tous, de plus en plus, et de la même façon, concernés par la tournure qu’est en train de prendre notre monde.

... rejointe aujourd’hui par l’actualité

Et puis, justement, au moment où je travaillais sur les dernières retouches à ce texte, un communiqué du Conseil des ministres du 17 Janvier 2013 informe que le Chef de l’Etat, Macky Sall, a exprimé sa volonté de jeter les bases d’une véritable politique de développement et de mise en valeur des potentialités nationales pour la décennie à venir, et a donné des instructions pour que soit d’ores et déjà élaborée, pour en marquer le cadre, une “loi d’orientation pour le développement durable des territoires”.

Et si on parlait plutôt de développement durable …à partir des territoires ? C’est là le fonds de la réflexion proposée dans ces pages.


A lire :

  1. Un défi qui nous concerne tous
  2. Un accès équitable à l’énergie, base du développement
  3. Nouvelles technologies : le monde rural acteur à part entière du secteur de l’énergie
  4. Biocarburants, au-delà de la polémique, une ressource locale et durable d’énergie
  5. Investir dans la terre, le temps du paysan
  6. Créer de la richesse, le piège des apparences

Attention !

Seuls les commentaires dont l’auteur s’est clairement identifié seront publiés.


publié par   Bruno Legendre
le mercredi 6 février 2013
 
 

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