Biocarburants, au-delà de la polémique, une ressource locale et durable d’énergie


Le lancement en 2007 d’un « plan national Jatropha » s’est rapidement heurté aux polémiques sur les biocarburants et aux campagnes internationales qui ont dénoncé avec vigueur le risque d’accaparement de terres et le danger pour la sécurité alimentaire que représentait un investissement massif sur une spéculation présentée comme un nouvel « or vert ».

De nombreux projets agro-industriels qui avaient alors été annoncés, n’étaient en effet qu’opportunistes, ainsi qu’en a attesté leur rapide repli et l’abandon récent même des plus tenaces, à Thies, Tambacounda ou Velingara. Leur principale motivation, lorsqu’ils réclamaient l’attribution de dizaines de milliers d’hectares pour faire de ce pays un producteur excédentaire de biodiesel, était probablement seulement de mettre la main sur des ressources foncières sous-exploitées .

Pourtant, l’intérêt d’une production de Jatropha pourrait être bien réel si elle était abordée dans une perspective de développement local :

L’intégration de cette nouvelle culture dans les systèmes agricoles paysans ouvre la voie à l’amélioration de leur productivité, l’huile extraite de ses graines peut être utilisée comme carburant de substitution au diesel et probablement comme combustible domestique alternatif au bois et, au-delà, le développement d’une filière de production d’huiles végétales de qualité génère des opportunités d’emplois attractifs pour les jeunes.

Intégration du Jatropha dans les systèmes agricoles paysans

Le Jatropha présente sans doute de nombreux atouts, mais certainement pas celui de pouvoir valoriser des terres dites ‘marginales’, au sens où elles seraient incapables de porter des cultures vivrières ni même de maintenir un couvert végétal naturel. Il est certes très résistant et arrive à survivre dans un environnement hostile mais, comme toute plante, il ne sera véritablement productif que sur des sols riches, ayant notamment une bonne capacité de rétention en eau.

Ce concept-même de ‘terres marginales’, en laissant entendre qu’elles sont abandonnées, est du reste un non sens car les paysans sont loin, faute de capacité d’investissement, d’avoir mobilisé toutes les ressources et techniques d’aménagement du territoire qui leur permettraient d’en améliorer la fertilité [1].

Il a entre autres été démontré que le Jatropha peut être efficacement intégré comme élément structurant de dispositifs de maîtrise de l’eau et des sols, et contribuer ainsi à la relance de l’agriculture pluviale et à l’amélioration de la productivité des cultures vivrières : il n’est plus un facteur de risque pour la sécurité alimentaire ; au contraire, en renforçant la durabilité de l’agriculture pluviale, il la place au cœur d’une nouvelle stratégie d’approvisionnement du pays en énergie.

L’huile végétale, un carburant pour demain

L’huile végétale extraite des graines de jatropha, à condition qu’elle réponde à des critères de qualité bien identifiés et normalisés (elle est alors qualifiée de ‘pure’), peut être utilisée en substitution au diesel, sans risques ni perte de performance, sur tout type de moteur, notamment les groupes électrogènes qui équipent les systèmes d’électrification rurale ou de distribution d’eau potable. Seule une adaptation mineure du moteur est nécessaire afin d’améliorer le taux de combustion lors d’un démarrage à froid et de protéger certains composants sensibles, à l’arrêt du moteur, d’une acidité plus grande de l’huile.

L’intégration de ces contraintes dans la conception des moteurs des véhicules assemblés au Sénégal pourraient d’ailleurs très certainement faire l’objet de partenariats public privés pour la promotion de l’huile végétale comme carburant national de référence : lorsque Rudolf Diesel inventa le moteur à combustion interne, ne l’avait-il pas initialement dénommé le ‘moteur à huile’ ?

Le monde change inexorablement : ce n’est pas aux carburants du futur de s’adapter aux types de moteurs existants, mais à ceux-ci d’évoluer, tout comme il est temps aujourd’hui d’accepter que l’énergie coûtera de plus en plus cher et que nous devons adapter nos modes de vie et de consommation pour qu’ils en soient économes.

Et un combustible pour un plus grand confort domestique

L’utilisation de l’huile végétale comme combustible domestique, en substitution au bois ou au charbon de bois, est une application rarement mentionnée mais qui mériterait qu’on lui porte beaucoup plus attention car elle pourrait avoir un profond impact sur l’environnement et les conditions de vie des populations pauvres.

Divers travaux ont en effet montré que son utilisation dans des réchauds à pression permet d’obtenir une qualité et un confort de cuisson équivalents à celui du gaz, et la maîtrise de la combustion de l’huile permettrait de surcroît de disposer aisément d’une source de chaleur pour des réfrigérateurs à absorption (tels ceux que l’on trouvait partout il y a 30 ans, alimentés au pétrole ou au gaz). [2]

Là aussi, la condition première est de disposer d’une huile de haute qualité.

Des perspectives à ne pas refermer trop vite

Insuffisamment pensé par des politiques influencés par des intérêts agro-industriels internationaux, l’échec du plan national jatropha ne doit pas pour autant occulter l’existence d’une ressource nationale réelle en énergie durable, dont l’exploitation pourrait être porteuse de perspectives nouvelles pour le monde rural.

L’intégration de la culture du Jatropha dans les systèmes agricoles paysans ne se limite pas à la définition de la place du Jatropha dans les assolements, à son utilisation dans des dispositifs de restauration de la fertilité des sols ou à la préservation d’équilibres indispensables avec la production alimentaire : les capacités de transformation acquises sous l’impulsion de la quête essentielle d’une ressource durable en énergie ouvrent la possibilité pour les paysans de valoriser un grand nombre d’autres espèces oléagineuses pour des usages variés (insecticides, cosmétiques, alimentaires…), dont la plupart étaient jusques là inexploitées et le potentiel souvent ignoré.

Enfin, les techniques mises en œuvre pour la production d’une huile végétale de qualité sont simples et permettent une appropriation de cette nouvelle filière par les ruraux dont les retombées auront un impact majeur sur le développement local.

  • D’une part les agriculteurs sécurisent alors leur propre accès à l’énergie, à un coût qui peut être très bas dès lors qu’ils le définissent eux-mêmes et qu’il se limite au coût de la trituration (le coût des graines constitue la part principale du prix de revient de l’huile lorsqu’elle est vendue à des tiers).
  • D’autre part leurs enfants, qu’il est essentiel de maintenir dans les zones rurales car c’est en eux que se trouve la capacité d’initiative indispensable à la relance de l’activité agricole, trouveront-là des opportunités directes d’emplois rémunérateurs et valorisants qui peuvent contrebalancer la force d’attraction des mirages de tous leurs rêves d’ailleurs.

Aucun obstacle technique ne s’oppose à ce que l’huile végétale pure, source inépuisable d’énergie renouvelable, ne devienne une ressource énergétique de référence pour le Sénégal. Et en premier lieu une ressource énergétique locale, en ce sens qu’elle peut être aisément rendue disponible en tout lieu du territoire national pour satisfaire de façon durable les besoins en énergie du développement local.

La production de biocarburants, et plus particulièrement d’huile de jatropha de qualité, ouvre véritablement des perspectives inédites pour le Sénégal. Les investissements à réaliser sont importants mais certainement pas irréalistes dès lors qu’ils s’inscrivent dans une logique globale et cohérente de développement.


A suivre ....

Investir dans la terre, le temps du paysan

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[1] Un tel investissement constitue une des options majeures du Plan Stratégique de Mobilisation des Ressources en Eau du Sénégal, élaboré en 2011

[2] Le groupe Bosch-Siemens (BSH) a développé un prototype de réchaud, PROTOS, dont les premiers tests se sont révélés très prometteurs. Cependant, en 2012, le projet d’industrialisation de sa production ayant échoué, malgré les importants moyens qui y avaient été consacrés, BSH a versé dans le domaine public tous les éléments relatifs à cette technologie, permettant ainsi à toute partie intéressée d’en poursuivre la mise au point. C’est le cas notamment du Karlsruher Institut für Technologie (KIT), en Allemagne, qui en poursuit activement le développement.


publié par   Bruno Legendre
le mardi 12 mars 2013
 
 

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