La communauté rurale de Pete attribue 500 ha de terres pour un projet Jatropha

Les populations se rebellent

Ces terres que l’on affecte, que l’on caractérise trop rapidement de ’marginales’ car elles ne sont plus exploitées, n’ont jamais été abandonnées.

A-t-on donné à ces paysans les moyens et les connaissances nécessaires pour continuer à les mettre en valeur malgré la baisse de la pluviométrie, avant de les déposséder, aujourd’hui, de leur seul capital et d’hypothéquer ainsi l’avenir de leurs enfants ?

Politique et développement...

Pour sécuriser son approvisionnement en énergie, le Sénégal envisage différentes stratégies qui incluent l’exploitation des ressources hydroélectriques des bassins des fleuves Sénégal et Gambie qu’il partage avec les pays voisins, la promotion des économies d’énergie et de l’utilisation de l’énergie solaire, et la valorisation du potentiel éolien de certains sites du littoral. La production de biocarburants constitue une autre voie à explorer, et en 2007 l’Etat a donné comme objectif à chacune des 321 communautés rurales que compte le pays de planter 1000 ha de jatropha.

La communauté rurale de Pete, située au nord en pleine zone sahélienne (il y pleut en moyenne 300 mm par an), a ainsi décidé d’affecter 500 ha de terres à un homme d’affaires originaire d’une autre région et résidant aux Etats-Unis. Elle s’appuie pour cela sur la loi sur le domaine national, qui autorise les collectivités locales à affecter des terres non exploitées, et c’était le cas ici, à tout promoteur porteur d’un projet viable.

Bien que ce projet prévoie la création d’emplois locaux, la réalisation d’une adduction d’eau, d’une piste de production, et de diverses infrastructures sociales dont elles pourraient directement ou indirectement bénéficier, les populations des villages de Pete, Boke et Lougue y sont vigoureusement hostiles. Elles refusent d’être dépossédées de terres qui font l’objet de droits ancestraux.

Elles arguent que, si aujourd’hui elles n’exploitent pas ces terres, c’est qu’elles n’ont pas accès aux ressources financières et aux connaissances qui leur permettraient de les restaurer, pour leur propre profit, dans leur usage agricole.

Des populations attachées à leur terre

Pour les comprendre, il faut se rappeler que ces populations avaient développé des savoirs agricoles avancés, distinguant par exemple 7 types de sols et environnements agro-écologiques différents pour lesquels elles avaient sélectionné et conservé des variétés de mil adaptées, jusqu’à ce que leurs stocks soient anéantis dans les années 80 par une sécheresse persistante de plus de 10 années. Et il est vrai qu’aucun investissement n’a jamais été réalisé dans cette région pour y diffuser les techniques de maîtrise des eaux pluviales et de gestion des sols, pourtant bien connues et pratiquées avec succès partout ailleurs dans le Sahel, qui auraient pu lui permettre de maintenir son activité agricole et de sauvegarder ces savoirs.

Pour les comprendre il faut souligner aussi que pour de nombreux jeunes l’activité agricole, très diversifiée, constitue une source de revenus et une réelle alternative à l’émigration : l’élevage est resté très actif et les systèmes d’exploitation ne se limitent pas aux cultures pluviales sur les hautes terres sableuses, mais incluent également des cultures de décrue ou irriguées dans la vallée du fleuve Sénégal. Les terres que ces populations revendiquent constituent le capital qu’elles ont jusqu’à présent préservé et qu’elles veulent léguer aux générations à venir ; peut-être ne savent-elles pas les valoriser aujourd’hui, mais elles ne les ont jamais abandonnées.

Et puis ces paysans ont déjà perdu de la même manière des centaines d’hectares de riches terres alluviales pour l’aménagement de périmètres irrigués aujourd’hui inexploitables parce que mal entretenus par les coopératives auxquelles ils avaient été affectés.

Et puis enfin, ils soufrent de voir abattus les quelques arbres qui restaient dans cette savane au bord du désert, alors que personne n’a jamais vu pousser ici ce jatropha que l’on prétend y substituer, et ne peut garantir qu’un jour il constituera une ressource pour le développement de la région.

Laissons aux ruraux la maîtrise de leur avenir

Le respect de ces populations, de leur attachement à une terre dont elles ont en mémoire la richesse encore toute récente (il y a quelques décennies seulement, alors que les adultes d’aujourd’hui étaient des enfants, là où le regard s’étend sur des kilomètres on pouvait croiser quelqu’un à quelques centaines de pas sans le voir…) et qui seule peut porter leur avenir, aurait dû exiger de les associer pleinement à la conception et à la réalisation de ce projet, et de prendre toutes les précautions nécessaires pour en assurer la réussite.

Comment ne pas partager leur crainte et leur colère, quand on découvre qu’en dépit de tout bon sens on est entrain de planter ce Jatropha en pleine saison sèche, alors que les dernières pluies sont tombées il y a deux mois déjà ; et qu’avec la densité retenue, sans système d’irrigation (qui ne serait d’ailleurs pas rentable) et sans qu’aucune disposition soit prise pour maîtriser les eaux pluviales, il aurait de toute façon été impossible d’établir cette plantation avec les seuls apports de l’hivernage.

A l’évidence ce projet est bien loin de remplir ses promesses, mais son promoteur, dont on ne connait finalement que l’absence, ne prend qu’un risque très faible en comparaison de celui que représente pour un grand nombre de familles la perte de leurs terres et de leur potentiel de travail …


publié par   Bruno Legendre
le vendredi 9 avril 2010
 
 

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