Le Jatropha, une espèce envahissante ?

A moins que ce ne soient les spécialistes de la polémique qui nous envahissent...

A l’occasion de la 9ème conférence des signataires de la convention sur la biodiversité qui s’est tenue à Bonn au mois de mai 2008, dans un contexte où depuis plusieurs semaines une vive polémique s’était répandue sur le risque de compétition entre production de biocarburants et production alimentaire, le Jatropha a été désigné comme étant de surcroit une espèce envahissante, dangereuse pour la biodiversité. Et cette analyse a été largement diffusée par des scientifiques sénégalais participant, à leur retour d’Allemagne, à une émission radiophonique à forte audience.

Parce qu’une fois encore de tels propos remettent en question, de façon trop abrupte et indifférenciée pour qu’on puisse les accepter tels quels, ce qui pourrait constituer une opportunité pour les plus pauvres de sortir de la misère, nous devons examiner avec attention la problématique soulevée.

Notre devoir est, s’il existe effectivement un risque, non pas de frileusement renoncer à explorer cette nouvelle filière, parce que ce serait condamner encore un peu plus les perspectives d’un avenir déjà bien sombre pour les populations rurales, mais de le cerner avec précision et de prendre les mesures appropriées pour le contrôler.

De quoi s’agit-il exactement ?

On désigne comme étant une espèce envahissante ‘une espèce introduite dans une région d’où elle n’est pas originaire et où elle se développe très vite ensuite’. Or, le Jatropha Curcas, une plante originaire d’Amérique du Sud introduite au Sénégal dans les années 50, est aujourd’hui bien connue des populations, qui l’utilisent notamment en haies vives pour protéger leurs cultures vivrières : jamais elles n’en parlent comme d’une espèce nuisible et nulle part il n’a été observé qu’elle occupe de façon spontanée l’espace au détriment des autres espèces.

En quoi donc l’intégration du Jatropha dans les systèmes de production et sa promotion comme nouvelle culture de rente, pourraient-elles être plus néfastes à l’environnement que :

  • L’arachide qui, après des années de monoculture, a détruit les sols du Sine-Saloum ?
  • L’anacardier qui, en occupant totalement l’espace, empêche tout développement d’autres espèces végétales et conduit au fil des ans à l’épuisement de leurs stocks de semences dans le sol ?
  • Le riz dont la promotion systématique, même là où il ne peut être rentable du fait des conditions d’accès à l’eau et de la nature des sols, se traduit par la disparition irréversible des derniers arbres et de systèmes écologiques et agricoles qui permettaient jusqu’alors aux plus démunis de vivre décemment ?
  • Les pesticides déversés par des agro-industries dans le lac de Guiers, réserve d’eau potable stratégique pour le Sénégal, ou utilisés sans respect d’aucune norme sur les cultures maraîchères aux abords des grandes villes ?
  • L’absence d’investissement dans l’aménagement de terroirs et la maîtrise des eaux pluviales, avec pour résultat, entre autres, une perte de savoir-faire agricoles ancestraux et d’un capital semencier traditionnel unique ?

Non, comme toute culture, comme tout élevage, comme toute activité humaine, ce n’est pas l’activité elle-même, la plante ou la technologie, qui sont dangereuses, mais les déséquilibres que créent leur appropriation ou leur manipulation par une minorité à son seul profit, l’exploitation du besoin des plus démunis de sécuriser et d’améliorer leurs conditions de vie, l’appropriation exclusive de savoir-faire et l’exportation systématique de toutes les ressources générées.

Ces déséquilibres en effet entraînent une perte de contrôle des populations sur leur environnement social et économique, et finalement une désagrégation de leurs sociétés. Or bien des exemples, partout dans le monde, témoignent qu’elles seules, à condition qu’elles conservent une organisation cohérente et leur vitalité (qui ne sont pas antagonistes de pauvreté) peuvent gérer de façon durable leur environnement écologique.

Toute activité nouvelle conduite à grande échelle se traduit par une rupture d’équilibres anciens. Elle ne doit pas pour autant être condamnée systématiquement et a priori, car elle peut bien contribuer de façon durable au développement des communautés concernées si elle est accompagnée d’une volonté forte d’en respecter les intérêts.

Ce qui doit focaliser nos attentions, ce n’est pas tant le risque associé à la promotion d’une espèce végétale où d’un objectif de production spécifiques, mais bien plus le modèle de développement rural sur lequel s’appuient les stratégies d’investissement qui nous sont proposées.


publié par   Bruno Legendre
le lundi 24 octobre 2011
 
 

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