- Au Sénégal, plus de 800 forages dépassent au moins une norme
- source SGPRE 2001
Au Sénégal un grand nombre de forages de la partie occidentale du pays, la plus peuplée, sont salés. Les points d’eaux non salés sont souvent pollués (puits) et près d’un tiers d’entre eux présentent des concentrations en fluor très élevées (jusqu’à 10mg par litre).
L’eau fluorée parait ’bonne’ (lorsqu’elle n’est pas salée) à ceux qui la consomme car elle n’a aucun goût, c’est au bout d’une dizaine d’année de consommation que les effets du fluor sur l’organisme se font sentir, et l’impact de la consommation de ces eaux est très variable d’un village à l’autre (sans doute du fait d’une biologie complexe du fluor dans l’organisme). De ce fait, peu de responsables locaux, élus ou personnel de santé, sont conscients du risque de santé publique lié aux conditions actuelles d’approvisionnement en eau des populations : les affections observées (douleurs articulaires) sont assimilées à de la malnutrition, de la drépanocytose...
On peut estimer que plus de 500.000 ruraux sont ainsi soumis à un risque de santé majeur. Des normes de qualité ont été établies (elles stipulent notamment que tout forage où les concentrations en fluor sont supérieures à 3 mg/l devrait être fermé, sans dérogation possible), mais elles ne sont pas appliquées [1].
Pourtant les effets sur la santé sont très graves. Ils ne se limitent pas à une coloration rouge des dents (pour des concentrations de l’ordre de 0.75 mg/l), dont l’incidence n’est qu’esthétique (la résistance des dents aux caries serait même améliorée) : au-delà de 3 mg par litres on observe des déformations du squelette très douloureuses (nodosités aux articulations, déformation du rachis) et des études récentes réalisées en Chine font état d’une incidence négative sur les capacités intellectuelles des enfants.
Les technologies membranaires à basse pression (nanofiltration) permettent de traiter aussi bien les eaux fluorées que les eaux saumâtres, avec des contraintes techniques et énergétiques réduites. C’est aujourd’hui une technologie mûre ; il a été prouvé qu’elle est sans conteste capable de résoudre efficacement le problème de qualité de l’eau auquel on est confrontés. L’enjeu aujourd’hui est de l’adapter à la desserte d’eau potable en milieu rural.
A une époque où les technologies les plus modernes dans le domaine de la production d’énergie ou des communications sont entrain de transformer les conditions de vie en milieu rural, il est irresponsable d’opposer technologies membranaires et technologies ’appropriées’ (filtration sur os calciné, par exemple) alors que les limites de celles-ci ont été déjà largement démontrées.
A une époque où la valeur économique de l’eau est très largement reconnue, aucune solution ne doit être écartée a priori pour assurer aux populations rurales un approvisionnement en eau de qualité.
La carte ci-dessus a été créée il y a 10 ans par le Service de Gestion et de Planification des Ressources en Eau (SGPRE) du Ministère de l’Hydraulique.
Il a fallu 10 ans pour que les institutions nationales et leurs partenaires internationaux osent enfin faire face au problème de la qualité de l’eau consommée par les populations rurales :
- En octobre 2009, les bailleurs de fonds du secteur de l’eau ont retenu comme thème d’une de leurs réunions périodiques la qualité de l’eau ;
- Le 22 mars 2010, c’est ce thème également qui a été retenu pour célébrer la journée mondiale de l’eau ;
- En juin 2010, le programme d’hydraulique rurale PEPAM-BA, financé par la Belgique, a publié un avis de recrutement d’un responsable chargé des questions de qualité d’eau.
Il a fallu 10 années, pendant lesquelles plus de 100.000 enfants ont continué à consommer une eau qui détériorait, chaque jour un peu plus et à jamais, leur organisme
Alors qu’ils pensaient que le Sénégal serait un des rares pays africains à réaliser les objectifs du millénaire pour le développement dans le secteur de l’eau (’réduire de moitié le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable’), décideurs et bailleurs de fonds ont subitement pris conscience que cela ne sera pas possible si l’on ne s’assure pas de la qualité de l’eau distribuée.
Ainsi le taux d’accès à l’eau potable dans la communauté rurale de Djilor n’est pas de 73%, comme l’annonce le site officiel du PEPAM [2], mais seulement de 4% : 4 des 5 forages utilisés pour desservir en eau cette population ont des concentrations en fluor supérieures à 3 mg/l.
Il a fallu 10 ans d’engagement inlassable de scientifiques et professionnels nationaux et d’acteurs de la société civile pour qu’enfin les politiques et leurs partenaires financiers osent reconnaître publiquement l’existence d’un grave problème de santé publique à l’échelle nationale.
10 ans c’est très long, et il reste encore du chemin à faire pour qu’on interdise la distribution aux populations d’une eau brute de mauvaise qualité, pour qu’on valide les solutions technologiques à mettre en oeuvre et qu’on définisse les conditions de leur pérennisation.
Mais nous continuerons à œuvrer dans ce sens.