Plan d’urgence pour l’approvisionnement en eau de Dakar

On ignore une option importante, sans risque pour l’environnement. Pourquoi ?

Dakar manque d’eau.

Les baisses de pression et coupures d’eau se multiplient.

Panique des politiques. Cela n’est pas bon pour l’image des promoteurs du "Plan Sénégal Émergent" qui doit mobiliser des milliers de milliards de FCFA d’investissements.

Alors on étudie un plan d’urgence.

Et comme dans toute urgence, on prend des raccourcis qui peuvent être très dangereux, des risques que l’on ne sait aujourd’hui même pas évaluer.

Sommes-nous vraiment dans une situation d’urgence ?

En 2000, la canalisation d’alimentation en eau potable de Dakar à partir du Lac de Guiers a été doublée. L’objectif était de couvrir, pendant la décennie qui a suivi, les besoins de la capitale.

En 2010, les consommations en eau (190.000 m3/jour) étaient satisfaites par un transfert de 160.000 m3/jour à partir du lac de Guiers et un prélèvement de 30.000 m3/jour dans les nappes du Littoral nord. Celles-ci, soumises à un risque d’intrusion marine, sont très fragiles.

Le niveau de consommation moyen s’élève, selon les sources, entre 64 et 78 litres par personne et par jour (l/p/j), mais il n’est que de 32 l/p/j dans la banlieue (Pikine, Guediawaye, Thiaroye).

En 2010, sur la base d’un objectif de desserte de 60 l/p/j, le déficit de production était estimé à environ 24.000 m3 par jour. Il n’a fait que s’aggraver.

Une des conditions mises par la Banque Mondiale pour le financement de ce projet était de limiter la croissance de la ville à 1.5% par an : il était passé de 4.5%/an entre 1960 à 3.8%/an en 1976, et lors du recensement général de la population de 2002 il a été estimé à 2.3%/an. Au cours de la même période il est passé de 3.4% à 5,9% par an à Mbour, qui est desservie également à partir du lac de Guiers.

Même si la croissance de Dakar s’est fortement réduite, l’hypothèse fait par le Projet Sectoriel Eau qu’elle se limiterait dans la période actuelle à 1.5% par an n’a donc pas été réalisée. Et les consommations individuelles ont pour leur part continué à s’accroître.

La situation est donc préoccupante, mais ce qui est important, c’est qu’on savait déjà en 2000 qu’à l’horizon 2012 au plus tard il faudrait avoir réalisé de nouveaux investissements pour faire face à l’accroissement de la demande.

Le déficit a commencé à être ressenti plus tôt que prévu, mais on n’est donc pas dans une situation d’ « urgence » : la situation actuelle était prévue, le risque de dérapage était tout à fait prévisible, et on avait 10 ans pour étudier l’avenir.

Toute erreur que l’on commettrait aujourd’hui serait dès lors impardonnable.

Ébauches de solution en 2010

Les objectifs de la politique nationale sont de fournir 60 l/p/j dans les villes de 5 à 10.000 habitants, et 35 l/p/j dans les localités de moins de 5.000 habitants.

Lors de la revue annuelle du PEPAM en 2010, la SONES a annoncé qu’elle prévoyait une augmentation moyenne de 4% par an de la demande en eau pour l’approvisionnement des populations urbaines : 312.000 m3/j en 2010, 389.000 m3/j en 2015, 473.000 m3/j en 2020, et 576.000 m3/j en 2025... En quinze an il faudra presque doubler la production.

Une étude de l’approvisionnement en eau de Dakar réalisée en 2010 pour le compte de la SONES fait ressortir les éléments suivants :

  • Avec un taux de croissance de 1.5% par an la population de Dakar (mais on n’analyse pas s’il est finalement réaliste ou pas, et à quelle échéance) sera de 3.4 millions d’habitants en 2025 ;
  • Selon les options envisagées, un investissement de 250 à 530 millions d’euros (soit jusqu’à plus de 300 milliards de FCFA) est nécessaire pour augmenter la capacité de production de 200.000 m3/jour (dont 50.000 m3 à destination de la Petite Côte).
  • Une partie de cette production serait assurée par des unités de dessalement de l’eau de mer ; une puissance électrique minimale de 40 MW devrait être mobilisée à cette seule fin, mais qui n’était pas prévue dans le plan directeur de Sénélec d’alors.
  • Dans toutes les options envisagées, on prévoit le maintien d’un prélèvement minimum de 15.000 m3/jour dans les nappes du littoral nord.
  • Etant donné le temps nécessaire à la mobilisation de financements et à la réalisation de travaux, on estime que le déficit atteindra 40.000 m3/jour à partir de 2014.

Sur la base d’une consommation moyenne de 65 l/p/j, la disponibilité prévue de 260.000 m3/jour correspond à la demande d’une population de 4 millions d’habitants : ce serait approximativement la population de Dakar si le taux de croissance actuel était maintenu ; c’est-à-dire qu’alors la capacité des investissements envisagés se révèlerait insuffisante à peine leur dernière tranche mise en service.

Il y a urgence, que faire ?

C’était prévisible.. Dakar manque d’eau.
Ce n’est pas très glorieux pour un pays qui se vante d’avoir été un des rares à atteindre les objectifs du millénaire pour le développement. Ce que l’on a gagné d’un côté, on est en train de le perdre de l’autre...

Il y a urgence, oui, à corriger l’image que cette situation donne de ce pays porteur par ailleurs de tant de promesses, engagé dans un effort sans précédent pour réaliser son émergence.

On n’a pas abandonné les idées de désalinisation de l’eau de mer pour un volume total qui pourrait atteindre 50.000 m3/jour, même si les risques environnementaux ne sont pas bien mesurés et si on ne sait pas encore comment assurer de façon durable l’approvisionnement en énergie, dont cette option technologique est très gourmande.

Et puis de toute façon, cette solution ne peut pas être opérationnelle avant 2017. On ne peut pas laisser la situation se dégrader jusque là.

Alors, pour faire face à l’urgence (et c’en est bien une maintenant, puisque l’on a tant attendu pour agir), l’Etat et ses partenaires techniques et financiers envisagent un transfert de 25.000 m3 par jour à partir de la zone de Tassette, alimentée par le plateau de Thies, à seulement quelques dizaines de kilomètres de Dakar.

Mais attention, ces nappes sont déjà, ou risquent d’être, très sollicitées :

  • Elles alimentent le réseau Notto-Ndiosmone-Palmarin, qui dessert 169 villages et 250.000 personnes alimentés à partir de 4 forages à gros débit, de 150 à 200 m3/heure (soit, pour un objectif minimum de 20 l/p/j un prélèvement de 5000 m3 par jour environ) ;
  • Elles se situent à proximité du nouveau pôle de développement économique de Diamnadio ;
  • La vallée du Diobass doit devenir un pôle de développement agricole et déjà des exploitations agro-industrielles y puisent leur eau d’irrigation.
    Or les ressources ainsi ciblées sont encore mal connues, et la prudence exigerait de les solliciter avec prudence tant que des études approfondies n’ont pas été réalisées.

L’alimentation en eau des populations bénéficie certes d’un haut niveau de priorité dans l’affectation des ressources. Mais, si l’on accepte la prudence qu’impose la raison, doit-on condamner les perspectives de développement agricole et économique de toute une région, indispensable par ailleurs pour rediriger vers d’autres espaces la pression insupportable sur les ressources naturelles que fait peser l’afflux actuel de population sur Dakar ?

N’y a-t-il vraiment pas d’autre solution que de risquer de détruire des ressources en eau fragiles ou d’anéantir les espoirs de développement ?

Et si plutôt on économisait l’eau consommée ?

Si chacun des 2.5 millions d’habitants que compte Dakar réduit simplement sa consommation de 10 l/jour, nous avons trouvé les 25.000 m3 qui nous manquent !

Dix litres, ce n’est rien... Le volume d’une chasse d’eau... 10% de notre consommation actuelle...

N’est-il pas plus pertinent d’investir dans la communication, des mesures incitatives de tous ordres ? C’est un domaine dans lequel de nombreuses entreprises excellent, et voilà un investissement qui serait durable.

L’effort engagé par le gouvernement pour décentraliser le développement économique et social, pour développer de nouveaux territoires viables, doit être accompagné d’une promotion active de nouveaux comportements, plus responsables.

Le développement durable du Sénégal, ce n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, mais de chacun d’entre nous.

Des erreurs irréparables... ce n’est pas la première fois

C’est dans l’urgence, aussi, que dans la nuit de 3 au 4 octobre 2003 on a ouvert une brèche dans la Langue de Barbarie, pour éviter que des quartiers de Saint-Louis soient submergés par la crue du fleuve Sénégal.

Des quartiers où l’on avait laissé construire de façon complètement irresponsable. Une crue devenue impossible à maîtriser d’abord parce que l’on a modifié profondément les mécanismes de fonctionnement du fleuve et détruit le rôle régulateur des zones humides.

Le résultat, c’est une catastrophe écologique.

Le bas du delta se transforme une lagune. Les eaux ne se renouvellent plus. Du fait de l’érosion de la plage, des dunes et des berges, de l’augmentation de la salinité des eaux, la végétation est détruite, l’ile aux oiseaux, un lieu unique de reproduction des oiseaux migrateurs, est menacée de disparition, la production maraîchèr est condamnée par la remontée du sel dans les puits.

Car cette brèche, de 4 mètres à son ouverture, un simple coup de bulldozer, faisait 2 jours plus tard 80m de large, trois semaines plus tard 330 m et 8 mois plus tard à 800 mètres ... et 2 km en octobre 2012

Les dégâts sont irréparables.

Ne faisons pas la même erreur à Tassette !

Ne compromettons pas l’approvisionnement en eau de zones rurales déjà tellement défavorisées et l’émergence d’un nouveau pôle économique, simplement pour satisfaire les appétits d’une ville trop gourmande.

Appelons ceux qui profitent du micro-climat de la région du Cap-vert, et des multiples opportunités économiques qu’elle offre, à un comportement responsable, solidaire de l’impérieuse nécessité de développer aussi les autres régions.

Dix litres d’eau par jour, ce n’est pas un grand sacrifice...

Sous la pression de lobbies écologiques on a appris à reconnaitre l’économie d’énergie comme une ressource, que l’on mesure en "négawatts" et dans laquelle on investit désormais. La création de l’AEME [1] montre le caractère stratégique que lui accorde la politique nationale. Pourquoi ne considérerait-on pas également que l’économie d’eau constitue une ressource stratégique ?

Ce qui trouble peut-être les « partenaires » techniques et financiers, serait-ce qu’une telle solution n’apporte aucune ressource aux entreprises d’ingénierie et de travaux internationales, ni de revenus supplémentaires (au contraire...) à l’opérateur « stratégique » du secteur ?

La logique économique et politique est en train de l’emporter sur la raison sociale et écologique.

Soyons vigilants !


[1] Agence sénégalaise pour l’Economie et la Maîtrise de l’Energie


publié par   Bruno Legendre
le vendredi 25 juillet 2014
 
 

Contributions

A lire...

Brèves

31 octobre 2014 - Nouvelles du Jatropha au Sénégal

Selon un rapport publié récemment par le réseau Jatroref, NEO et SOCOCIM ont renoncé à leurs (...)

25 janvier 2014 - De nouvelles questions sur Senethanol...

Deux articles intéressants ont été récemment publiés sur le site de ww.farmlandgrab.org au sujet du (...)

23 janvier 2014 - Veut-on vraiment développer les énergies renouvelables au Sénégal ?

Le gouvernement sénégalais a annoncé son intention d’encourager l’investissement privé dans les (...)