Le Sénégal a atteint l’OMD Eau avec 2 ans d’avance

Vrai ou faux ?

A l’occasion de la revue annuelle sectorielle conjointe du 20 mai 2014, la coordination du Programme d’Eau Potable et d’Assainissement pour le Millénaire (PEPAM) annonce que "pour le sous-secteur de l’hydraulique rurale, le taux d’accès global à l’eau potable est de 84.1% en fin décembre 2013 pour une cible en 2015 de 82%".

Les régions de Kaffrine et de Kaolack auront même atteint d’ici seulement 2 ans, selon le ministre Pape Diouf, un niveau de couverture universel. [1]

Performance véritable, ou poudre jetée aux yeux de bailleurs complaisants et d’un public ignorant ?

Des acquis indéniables

Le PEPAM a su, par son efficacité, gagner la confiance des partenaires techniques et financiers. Il a ainsi pu mobiliser à un rythme soutenu des financements énormes, au-delà des attentes, de près de 70 milliards de FCFA en moyenne par an, et réaliser un très grand nombre d’infrastructures.

Il ne s’agit pas de contester cette belle réussite, mais de rester lucide. Car c’est de vies humaines dont il s’agit.

Des questions subsistent en effet, profondes, que la revue annuelle esquive.
Elle aurait pourtant été l’occasion de mobiliser les partenaires et les acteurs autour des défis auquel le secteur reste confronté.

Le Droit à l’Eau potable ?

En juillet 2010, l’Assemblée Générale des Nations Unies a reconnu l’accès à l’eau de qualité comme étant un droit fondamental.

Or des centaines de milliers de personnes continuent à utiliser une eau fortement salée ou présentant une concentration en fluor dangereuse pour la santé, sans compter qu’une étude récente du ministère de la santé a révélé l’eau distribuée au niveau d’environ un tiers des adductions d’eau rurales ne répond pas aux normes de qualité bactériologique.

Peut-on dès lors vraiment prétendre que le taux d’accès global à l’eau potable est de plus de 84% en milieu rural ?

Bien sûr le ministère de l’hydraulique prend très au sérieux la question de la qualité de l’eau et il a le soutien des partenaires internationaux pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie d’amélioration de la qualité de l’eau.

Mais le chemin est long encore, et les obstacles sont nombreux en perspective avant que chaque sénégalais ait accès à une eau de qualité. Or c’est une condition essentielle pour la réalisation pleine des droits de l’homme dans notre pays.

Quels acquis véritables ?

Lorsque la coordination du PEPAM affirme que "La qualité du service d’eau potable en milieu rural s’est également améliorée en 2013 avec un taux de disponibilité qui a atteint 97.6% contre 97% en décembre 2012", à quoi se réfère-t-elle ?

Il n’existe pas, jusqu’à présent, de base de données intégrant l’ensemble des ouvrages existants, documentant leur état de fonctionnement et leur niveau d’exploitation actuels, accessible à tous.

Ainsi, dans le dossier d’appel à manifestation d’intérêt pour la délégation à des opérateurs privés de la gestion des 149 forages ruraux de la région de Thies, l’information sur la date d’installation des pompes était indisponible pour 15% d’entre eux, sur les durées de pompage journalières pour 30% et sur les volumes mensuels pompés sur 35%.

En l’absence de données d’exploitation, comment peut-on attester de la viabilité des investissements réalisés, de la pérennité du score annoncé, s’il s’avérait réel ? dans ce même document, aucune indication n’était fournie sur l’état de l’épargne constituée par les ASUFOR, donc sur la capacité à renouveler les équipements en fin de vie (or dans 26% des moteurs ont plus de 10 années de fonctionnement).

Enfin, 60% des installations de cette régions fonctionnent exclusivement avec des moteurs thermiques. Que deviendra l’accès à l’eau dans ces localités lors de l’augmentation, inévitable au cours des 15 années à venir (durée des contrats de délégation de gestion), du prix du gasoil ? Aucune stratégie de promotion active des énergies alternatives n’est mise en œuvre ni même à l’étude (voir article "Eau et Energie").

D’important efforts ont été réalisés, c’est vrai, mais les acquis ne sont-ils pas très fragiles.

Quelle pertinence ?

Face à ces défis, le directeur général de l’Hydraulique est-il raisonnable d’annoncer que son objectif est une baisse du prix de l’eau ?

Les 2/3 au moins du parc de forages dépendent du cours mondial du pétrole ; le coût de potabilisation de l’eau, par ce soit par transfert ou traitement local, nécessaire sur un bon tiers du parc de forages, est de l’ordre de 800 FCFA/m3 soit 50% plus cher que le prix actuel de vente de l’eau ? enfin la délégation de gestion des forages à des privés, si elle doit se traduire par une amélioration sensible de la qualité du service, va difficilement avoir un impact positif sur le prix de l’eau aux usagers.

Mais au-delà de ces considérations sur le réalisme de la vision que les institutions ont de l’évolution du secteur, quelle est la pertinence de l’action menée par le PEPAM au terme d’une décennie d’investissements massifs ?

Selon la terminologie des partenaires techniques et financiers, la pertinence se définit comme étant la contribution de l’action à l’opérationnalisation des politiques et stratégies nationales.

Lorsque la coordination du PEPAM ajoute que "Cette qualité du service sera maintenue dans une perspective durable à travers le déploiement des activités de l’Office des Forages Ruraux (OFOR) et de la mise en place effective de délégations de service public en milieu rural", n’oublie-t-elle pas que cet Office va se voir attribuer dans ses missions des compétences que la loi SPEPA de 2008 proposait de transférer aux communes rurales.

N’aurait-il pas été plus pertinent d’investir dans l’application de cette loi, dont les décrets d’application n’ont même pas encore été promulgués, et de confier à l’OFOR une mission d’accompagnement des communes dans le rôle de maîtres d’ouvrage du service de l’eau dont tous les pays de la sous-région conviennent qu’il leur revient ?

Tromperie ? Non...

La coordination du PEPAM a fait son travail. Elle a été efficace, nul ne peut le lui contester.

Il est juste qu’elle fasse la promotion de ses efforts et de ses résultats dans la mission qui lui a été confiée, et elle se doit de donner aux partenaires qu’elle a su mobiliser toute la visibilité qu’ils attendent en retour.

Le véritable problème, c’est qu’il n’y a pas de contrepoids qui invite à relativiser le bilan présenté par le PEPAM.

La revue annuelle du PEPAM réunissait "400 participants, représentants du parlement, des collectivités locales, des organisations de la société civile...", et pourtant aucune voix ne s’est élevée pour exprimer les nombreux questionnements qui restent en suspens.

Cette revue annuelle, n’arrive pas à être la revue "sectorielle" et "conjointe" qu’appelle la coordination du PEPAM, c’est-à-dire un regard ouvert et partagé avec l’ensemble des acteurs sur la situation du secteur et son avenir.

C’était le rôle du Partenariat National de l’Eau du Sénégal (PNES) d’animer au sein de ses membres une réflexion sur les questions de qualité d’eau, de pérennisation des acquis, de gouvernance locale et sectorielle... Il constitue une plateforme neutre de laquelle peut émerger une critique objective et positive, dont le PEPAM a besoin pour aller plus loin encore, notamment dans un compagnonnage avec les collectivités locales pour le contrôle de la qualité et de la pérennité du service public de l’eau.

Mais le PNES n’était même pas présent à cette revue annuelle et invisible à la semaine Africaine de l’Eau organisée à Dakar dans la semaine qui a suivi.

La coordination du PEPAM a fait son travail. Elle l’a bien fait.
Ouverte aux contributions des acteurs, il ne lui revenait pas de les mobiliser.

A ces acteurs, par contre, à ceux qui estiment qu’il est de leur devoir de participer à l’effort pour un accès universel à une eau de qualité, de se doter d’une voix qui porte haut et fort, en tout lieu.


[1] articles paru dans l’édition du 26 mai 2014 du quotidien national "Le Soleil"


publié par   Bruno Legendre
le jeudi 29 mai 2014
 
 

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