Eau et Energie

Célébration de la journée mondiale de l’eau 2014 au Sénégal

En plaçant la journée mondiale de l’eau 2014 sous le thème “Eau et Energie”, les institutions sénégalaises auraient-elles donné le signal qu’elles ont enfin entendu le message qu’on ne cesse de leur adresser, à savoir que la pérennisation et la transformation des importants acquis de ces dernières années en matière d’accès à l’eau potable exigent qu’on sécurise l’approvisionnement en énergie des systèmes de production d’eau ?

L’espoir s’est, hélas, trouvé vite déçu.

Un espoir déçu

La traditionnelle exposition qui accueille les participants s’est trouvée cette année réduite aux expositions mille fois répétées des institutions du secteur. Les acteurs du secteur de l’énergie étaient, paradoxalement quasiment absents.

Comme perdue au milieu de tout cela, une toute nouvelle association de jeunes professionnels de l’eau et de l’assainissement (AJPEAS), créée à l’initiative de l’Association africaine de l’eau (AAE) : c’est d’ailleurs à elle que cet article est dédié, en espérant qu’elle saura adopter une autre posture que celles des discours convenus et auto satisfaits.

A l’évidence, l’eau source d’énergie, l’hydroélectricité est au centre de tous les intérêts : le gouvernement s’est donné comme objectif à court terme que les énergies renouvelables contribuent au moins à hauteur de 20% au mix énergétique, et les différents projets de barrages dans les bassins du Sénégal et de la Gambie sont de beaux exemples d’intégration sous-régionale.

Une petite porte a quand même été entrouverte vers d’autres pistes de réflexion, mais en se limitant à des approches encore tellement marginales aujourd’hui, qu’elles ressemblaient plutôt à un décor posé ici pour se rassurer que l’on pense ‘durable’ : EOLSENEGAL a présenté son projet de fabrication locale de petites éoliennes pour l’électrification rurale décentralisée, et des chercheurs leurs travaux sur la valorisation énergétique des produits d’assainissement.

On attendait un regard plus en profondeur sur les relations entre l’eau et l’énergie et les vrais défis qu’il nous faut impérativement relever, et qui semblent avoir été un peu oubliés, et c’est dommage, tout au long de cette journée.

Des oublis

Les ressources en eau ne sont pas simplement une ressource pour satisfaire une demande énergétique en croissance soutenue. Leur mobilisation pour tenter de satisfaire le droit fondamental des populations à l’eau est consommatrice, et de plus en plus, d’énergie, qu’il s’agisse de production agricole, de pompage, de transferts, de défluorisation des eaux souterraines ou de désalinisation de l’eau de mer : le bilan énergétique du secteur de l’eau est très largement négatif et sa très grande dépendance de sources d’énergie fossiles en fragilise le développement. On l’a oublié, ce 22 mars.

L’exploitation du potentiel hydroélectrique n’est pas sans risques sociaux et environnementaux : la valorisation du barrage de Manantali va se traduire à terme par un abandon des systèmes traditionnels de culture de décrue dont dépend encore aujourd’hui la subsistance de milliers de familles dans des zones où la culture irriguée n’a pas su asseoir sa rentabilité. On l’a oublié, ce 22 mars.

La contribution de l’hydroélectricité dans mix énergétique restera toujours marginale, de l’ordre de 10% de l’énergie totale produite. Les nouveaux investissements en cours ne permettront que de la maintenir à ce niveau, et elle ne restera disponible que dans les zones couvertes par le réseau interconnecté : elle n’est pas la manne que l’on croit. La sécurité énergétique nationale exige que l’on évolue vers des systèmes de développement plus économes, aussi bien en eau qu’en énergie. On l’a oublié, ce 22 mars.

Le Sénégal dispose d’abondantes sources d’énergies renouvelables, qui ont l’avantage sur l’hydroélectricité qu’elles sont décentralisées, accessibles en tout point du territoire. Leur valorisation est une nécessité, les technologies sont mûres et des capacités nationales existent pour les mettre en œuvre. On l’a oublié, ce 22 mars.

Le Sénégal se félicite d’avoir réalisé les objectifs du millénaire pour le développement en matière d’accès à l’eau. A ceci près qu’une grande partie de l’eau distribuée en milieu rural n’est pas potable. Elle présente souvent des concentrations dangeureuses en sels, notamment en fluor, et on estime que dans 30% des cas elle ne répond pas aux normes qualité bactériologique. Il faut de l’énergie pour traiter cette eau, ou pour mettre en œuvre des transferts à partir de ressources de meilleure qualité. On l’a oublié ce 22 mars.

La très grande majorité des forages ruraux sont équipés de groupes électrogènes fonctionnant au diesel, or la raréfaction et l’augmentation des coûts des sources d’énergie fossile sont inévitables. Alors que l’on s’apprête à confier à des opérateurs privés la gestion de quelques 600 forages dans le centre du pays, on ne s’est pas du tout posé la question de la viabilité à long terme du rôle qu’on veut leur confier, et de la pérennité d’un service de l’eau de qualité et accessible en milieu rural. L’accès universel à l’eau, si on n’aborde pas de front cette problématique, restera un rêve. On l’a oublié, ce 22 mars.

L’hydraulique urbaine n’est pas en reste. Le Plan Stratégique de Mobilisation des Ressources en Eau à l’horizon 2025, réalisé en 2010, a clairement souligné les risques liés à la pression de certaines villes sur les ressources en eau : la croissance rapide de Ziguinchor, Mbour, Dakar, ou Saint-Louis constitue pour ces ressources un véritable danger. La désalinisation de l’eau de mer est envisagée comme une solution, mais elle transfère la pression sur le secteur de l’énergie : les 40 MW qui seraient nécessaires pour produire quelques 60.000 m3 par jour à Dakar ne sont pas prévus dans le plan directeur du secteur de l’électricité. On l’a oublié, ce 22 mars.

Et pourtant, un véritable défi

Il devrait exister de fortes synergies entre hydraulique et électrification rurale : dans les deux secteurs la technologie photovoltaïque, dont la fiabilité n’est désormais plus contestée, a considérablement évolué au cours des dernières années. Les systèmes convergent vers des centrales hybrides qui offrent, en tout lieu du territoire, à la fois puissance et souplesse d’adaptation, sans quasiment aucune limite, à la demande des usagers.

Une adduction d’eau multi-village devrait être une cible prioritaire de desserte en électricité, si l’on acceptait de sortir des schémas conventionnels qui reposent sur des systèmes autonomes, fermés. En continuant à considérer que le photovoltaïque est réservé aux petits villages, et que la sécurisation du service de l’eau exige qu’il soit autonome, on ne permet pas aux services d’eau et d’électricité d’être viables.

Après de multiples balbutiements, la perspective d’une production locale de biocarburants de qualité, comme source d’énergie locale et durable, est en train de devenir une réalité. On peut aujourd’hui démontrer que son développement contribuerait à l’amélioration de la fertilité des sols, à la sécurisation de l’approvisionnement en énergie du monde rural, à la création d’emplois qualifiés pour les jeunes ruraux… Pour qu’un groupe électrogène puisse fonctionner à l’huile en toute sécurité il suffit qu’il fonctionne à plus de 80% de sa puissance nominale : cela est tout à fait possible en intégrant la production d’énergie pour la desserte en services d’eau et d’électricité. Alors s’ouvrirait, pour des dizaines de petites entreprises rurales, un marché de plus d’un millier de forages et centrales électriques.

Sans eau, sans énergie, sans entreprises offrant des emplois qualifiés pour les jeunes, jusqu’où le processus de la décentralisation traduira-t-il la vision de « territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable à l’horizon 2022 » ?

La réflexion sur les synergies à développer entre « l’eau » et « l’énergie », initiée à l’occasion de la journée mondiale de l’eau, doit être résolument placée dans la perspective de l’acte III de la décentralisation. En invitant les acteurs des secteurs de l’eau, de l’énergie, de l’agriculture, à faire converger leurs efforts elle participerait à la mise en cohérence du « Plan Sénégal Emergent » et à son ancrage durable dans les territoires.


publié par   Bruno Legendre
le dimanche 30 mars 2014
 
 

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