Un accès équitable à l’énergie, base du développement


Il est largement reconnu que l’accès à l’énergie constitue un facteur essentiel de développement économique et social. C’est grâce à elle que l’on pourra non seulement améliorer le confort de l’habitat, mais aussi transformer la production agricole, conserver des vaccins, produire de la glace, ou recharger les téléphones portables…

Energie solaire, un rêve d’énergie pour tous

Dans les années 90, l’énergie solaire s’est révélée être la source d’énergie qui permettrait d’étendre très largement l’accès à l’eau et à l’électricité, jusques dans les villages les plus reculés.

A Marrakech, la Banque Mondiale et l’AFD annonçaient un ‘changement d’échelle dans l’électrification rurale’ et l’Union Européenne initiait avec le CILSS un programme d’installation d’un millier de pompes photovoltaïques à travers le Sahel. A l’instar de la prise en charge des soins de santé primaire par les malades, le principe de la vente de l’eau au volume venait d’être adopté et, dans plusieurs pays, on avait fait la démonstration de l’acceptabilité par les plus pauvres des coûts de mise à disposition de petites quantités d’énergie électrique, de l’ordre d’une dizaine de watt-heures par jour et par personne, suffisantes pour s’éclairer et écouter la radio.

Au même moment, l’analyse par le secteur des assurances de l’impact financier du changement climatique ouvrait la voix à la mobilisation de nouvelles ressources financières, et à de nouvelles formes de solidarités, pour soutenir une promotion active des énergies renouvelables.

La mise en œuvre par des opérateurs privés de services énergétiques qui évitent à l’usager d’avoir à investir dans un générateur, à l’entretenir ou à en prévoir le renouvellement, devait permettre de diffuser très rapidement des milliers de systèmes photovoltaïques individuels et contribuer à soutenir l’émergence d’un marché à l’échelle des ambitions d’une industrie en pleine expansion.

Les énergies nouvelles se heurtent à des systèmes organisationnels fossiles

Deux décennies plus tard, les systèmes photovoltaïques ont tenu leur promesse de fiabilité, leurs coûts ont baissé de façon significative, et de nombreuses petites entreprises se sont spécialisées dans leur commercialisation et leur installation. On reste pourtant encore très loin d’avoir atteint un accès universel aux services de base.

En 1998, s’inscrivant dans ces dynamiques et se référant à une analyse originale des dynamiques rurales, un Groupe d’Initiative pour l’Electrification Rurale au Sénégal (GIERS), composé d’investisseurs nationaux, s’était donné comme objectif de fournir en 10 ans de l’électricité à 100.000 foyers ruraux à partir de sources d’énergie renouvelables.

Les politiques d’alors ont privilégié la création d’une Agence Sénégalaise pour l’Electrification Rurale (ASER), chargée de mettre en œuvre un programme de concessions dont les critères d’attribution les réserveront à des investisseurs internationaux. Or, structurées, selon une approche très conservatrice, autour d’extensions du réseau électrique national qui les rendent étroitement dépendantes d’un approvisionnement en énergies fossiles de plus en plus rares et des capacités déficientes d’une compagnie nationale soumise à de graves difficultés de gestion, la durabilité de ces concessions est loin d’être assurée. En outre, la dynamique privée recherchée n’avait pas encore permis, à l’orée de l’année 2012, de fournir de l’électricité à une seule famille.

Dans ce contexte, l’approche proposée par le GIERS reste plus que jamais pertinente. Elle s’inspirait d’une conception de la notion de réseaux fondée sur l’échange d’informations et la promotion de synergies d’intérêts, alternative à l’approche conventionnelle marquée par l’intégration physique, la hiérarchisation et le contrôle d’activités décentralisées.

L’idée était, pour couvrir rapidement tout le territoire national, de s’inscrire dans l’environnement commercial existant, en affranchissant l’activité de toute limite géographique, en banalisant la dimension technologique et en faisant de l’électricité un consommable que l’on peut acheter au détail, au même titre que piles, bougies ou pétrole.

Dans un tel schéma, le promoteur de services énergétiques ne prétend pas s’approprier la filière mais se positionne dans un rôle essentiel de catalyseur d’une dynamique très similaire à celle qui aujourd’hui porte dans une spirale époustouflante le secteur des télécommunications.

S’inspirer de la dynamique du secteur des télécommunications

La différence entre la logique qui anime le secteur des télécommunications et celle qui prévaut en matière d’électrification rurale tient essentiellement dans le positionnement de l’investisseur. La cible de l’opérateur de téléphonie est, sans équivoque, l’usager des services qu’il met en œuvre ; il en facilite l’équipement et encourage sa consommation par une imagination promotionnelle débordante, et, dans un contexte devenu extrêmement concurrentiel, aucun usager n’est délaissé, même dans les villages les plus reculés.

L’opérateur de services d’électricité se positionne au contraire sur un marché institutionnel, cherche à capter les ressources publiques internationales qui octroient pour le développement de l’accès à l’énergie des subventions considérables, mettant plus en avant l’aspect social ou écologique de l’investissement que l’opportunité économique qui devait dans les stratégies initiales le justifier et en asseoir la durabilité.

L’explosion du marché de la téléphonie, et des communications de façon générale, a révolutionné en quelques années les modes de vie, en améliorant la sécurité de familles isolées, en revitalisant les liens sociaux et culturels là où les désastres de l’économie, exacerbés par un système éducatif suscitant une quête d’ailleurs, avaient déchiré les tissus traditionnels et brisé leur cohésion, mais aussi en facilitant l’essor des activités économiques et en allant jusqu’à jouer un rôle majeur dans la démocratisation des systèmes politiques.

Le secteur de l’électricité, quant à lui, continue de subir l’inertie de logiques de monopole et de centralisation des pouvoirs. Sa rentabilité n’est certainement pas celle du secteur des télécommunications, mais il est pourtant porté depuis plusieurs décennies par la croissance stable, à 2 chiffres, d’une demande dont le potentiel est très loin d’être saturé : si les taux d’accès à l’électricité en milieu rural stagnent, c’est faute d’approches techniques et commerciales appropriées et non du fait de la faiblesse des ressources économiques.

Pauvreté et demande en énergie

La réalité n’est pas, en effet, celle à laquelle se réfèrent les stratégies conventionnelles.

La pauvreté ne se caractérise pas tant par un manque de ressources, que par leur irrégularité ; pas tant par une incapacité à les mobiliser, que par la nécessité, dans un quotidien soumis à de multiples aléas, d’en arbitrer l’usage pour satisfaire au mieux des besoins souvent imprévisibles mais qui s’imposent avec force.

De nombreux ruraux, dont la vie quotidienne s’organise autour d’équilibres sociaux sur lesquels ils n’ont pas de maîtrise et dont ils sont étroitement dépendants, peuvent difficilement s’engager sur le paiement régulier d’un forfait fixe, comme le voudrait le système de tarification en vigueur des services d’électricité ; ils ont besoin de fractionner autant que possible leurs achats, de contrôler (comme ils le font pour toute autre dépense domestique) leur consommation en énergie, afin de rester libres de décider, à chaque instant, de l’affectation de leurs ressources.

Et pour autant, même si cela peut paraître paradoxal, l’usager rural ne veut pas être limité dans son accès à l’énergie ; il veut pouvoir regarder la télévision, ou consommer de la glace : il ne se projette pas dans son avenir comme étant ‘pauvre’.

Ce sont ces dynamiques qu’un opérateur économique doit chercher à saisir. Il doit vendre l’énergie sous un conditionnement accessible au consommateur, rechercher toute synergie qui contribuera à la fois à améliorer la capacité financière de l’usager, à l’accompagner dans le développement de sa consommation et à le fidéliser, et à réduire le coût de revient des services offerts.

En guise de conclusion

Les approches mises en œuvre jusqu’à ce jour n’ont pas permis de relever le défi de l’électrification rurale. Il faut rendre l’initiative aux opérateurs privés nationaux, faire évoluer l’idée que l’on a, devenue archaïque, de l’organisation du secteur de l’électricité ; il faut développer une démarche plus orientée vers l’ajustement de l’offre à la demande que vers la standardisation des systèmes et tarifs, s’affranchir des limites des systèmes solaires individuels et des contraintes de stockage de l’énergie qu’ils posent, tout en restant dans une dynamique de décentralisation de services d’électricité accessibles à toute famille, indépendamment de son statut économique ou social.


A suivre ... Nouvelles technologies : le monde rural acteur à part entière du secteur de l’énergie

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publié par   Bruno Legendre
le samedi 16 février 2013
 
 

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